AVENUE ROYALE
Casablanca 2021-2023
ANNE MOCAËR
Une artère d'un kilomètre et demi de long, large et droite, bordée d'immeubles imposants, traversant la ville pour la relier à la mer. Un symbole d'élan urbain, de projection vers l'avenir. Commencée il y a plus de trente ans, l'avenue royale avenue se veut être un symbole de la modernité de la ville.
Pour qu'elle existe, il faut d'abord détruire. Détruire une partie de la médina extra-muros, déclarée d'utilité publique. Plus de 1 730 logements jugés insalubres et menaçant ruine, 11 500 ménages promis au relogement selon le recensement de 1989. Mais le projet s'enlise dans la multiplicité des acteurs impliqués et la complexité du dossier. Les multiples étapes administratives, les différentes phases de développement et les désaccords entre les résidents et les institutions responsables ont façonné le déroulement de ce projet au fil des années.
Et pendant ce temps, les gens vivent entre. Entre passé et avenir. Entre murs debout et murs effondrés. Entre la crainte d'être expulsés et l'espoir d'un vrai toit. Entre un quartier qu'on ne peut plus habiter et un autre où l'on ne veut pas aller.
Les nouveaux logements sont à 12, 15 kilomètres, dans des quartiers nouvellement construits. Loin. Loin du port, du centre, des petits boulots, des voisins. Loin de l'économie informelle et du réseau d'entraide qui leur permettait de vivre.
Entre 2021 et 2023, j'ai photographié ce « entre ». J'ai rencontré Achraf, Youssef, Hicham, Yaya, Amine, Hassan, Nawal, Amina. Ils vivent dans ce flottement. Certains travaillent au port, d'autres essaient de faire la traversée vers l'Europe armés seulement d'une combinaison de plongée et de leurs rêves. Certains dealent « parce que voler, c'est haram ». Tous sont là, pris entre deux mondes, deux vies, deux lendemains incertains.
Ce projet raconte plus qu'une avenue qui tarde à se faire, mais un monde suspendu. Une population qui attend, qui s'adapte, qui résiste, parfois qui cède.
C'est un témoignage des mutations urbaines, sociales et économiques d'une ville qui se construit un destin de métropole influente.
C'est une invitation à réfléchir sur la manière dont nous construisons et habitons nos espaces, sur la tension entre le patrimoine et le développement moderne, sur l'impact des projets d'urbanisation sur des populations et leurs modes de vie.
En juin 2025, le projet devrait aboutir et ce quartier sera transformé, laissant place à la nouvelle infrastructure urbaine planifiée depuis les années 80.
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